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Les salles obscures - "8 Mile", Curtis Hanson

Quand, dans ta vie, tu n’as plus rien, c’est qu’il est l’heure de te battre.

Retranché dans un quartier pauvre de Détroit, B-Rabbit sait mieux que personne que les opportunités de prouver au monde de quoi il est capable ne se présenteront peu de fois dans sa vie. Après le boulot épuisant de la journée, il est l’heure de faire chauffer son timbre de voix quand la Lune se lève, et d’exercer aux yeux de tous ce qu’il sait faire : un rap moralisateur et percutant.


Seulement, la vie t’amène des difficultés qu’il faut surmonter. Tu n’as pas le choix : une vie de famille à la dérive, des responsabilités fortes et une pauvreté à combattre. Mais tu n’es heureusement pas seul : des Hommes se dressent à tes côtés pour affronter ces défis, et t’apportent la force nécessaire pour te frotter aux prétentieux que tu veux déloger. "Tout ce que nous faisons, c'est dire des conneries" : c'est peut-être l'heure de changer.


Une histoire d’amour qui tourne mal, un lynchage collectif ou encore une tromperie grossière, et te voilà lancé, prêt à embraser la flamme de ta vie et le feu ardent de ta destinée. « Sauras-tu saisir ta chance, ou la laisseras-tu t’échapper ? ».

Aujourd'hui, on va parler d'un petit sujet rapide, mais surtout d'"8 Mile" (2002), réalisé par Curtis Hanson.

 
 

Petit Aparté des familles

Une question me hante depuis quelques jours : "Comment pourrais-je aider les personnes qui se disent 'Qu'est-ce que je vais bien pouvoir regarder comme film maintenant ?'". Alors, comme je sais que certains de ces gens (je fais partie de cette tendance aussi) sont parmi nous ici (Coucou), je vous offre ma solution. Mes articles (sans prétention, vraiment). Premier avantage : le bandeau Facebook de mon pavé affiche le nom du film dont on va parler, ça vous donne déjà une idée de long-métrage à mater.


Deuxième avantage : une fois que vous aurez vu l'oeuvre en question, vous allez y repenser. Et vouloir en parler. Ça tombe bien, Rédac' en Herbe fait office de grands regroupements de discussions culturelles entre les auteurs et les lecteurs. Une question, une théorie qui vous donne envie de vous exprimer ? Faites-le ici : on parlera de tout. J'espère qu'on sera nombreux, et vous verrez, on arrivera à former une belle communauté. Avec des gens vraiment cools. J'en suis certain, on va se marrer tous ensemble avec cette culture qui nous passionne tous !

Bon, maintenant, il est temps de lancer la critique cinéma de "8 Mile" : direction les Etats-Unis !

 

Un monde fait de précarité, violence et courage


On pense que le rap est un genre musical parmi tant d'autres. Mais on oublie qu'il est souvent (pas toujours) le moyen d'expression unique de nombreux individus pour raconter et dénoncer un quotidien difficile. Entre affaires de drogues, règlements de compte et destins tragiques, la rue est malheureusement devenue un cadre propice à l'art de la contestation et de l'affirmation, permettant de transformer la douleur en délivrance et soutien. Marshall Bruce Mathers, un jeune pétri de talent et d'ambitions, a fait partie de ces groupes qui tentent face à l'extrême précarité des quartiers de s'élever pour s'échapper d'un univers infernal.

La musique est la voie par laquelle bon nombre de rappeurs amateurs s'engouffrent, avec l'espoir ultime de signer un contrat avec une maison de disque leur assurant une exposition forte et un possible succès. Evidemment, beaucoup essaient, mais très peu réussissent à attirer les regards des Hommes qui comptent. En attendant l'étincelle, les ambitieux des quartiers pauvres de Detroit se mesurent entre eux à la force de leurs proses dans des salles lugubres et peu accueillantes. Comme une parenthèse aux jours sombres, il est ici question de montrer à un premier public de passionnés qui mérite la gloire et l'ascension. Notre héros y jouera un combat non seulement contre les autres, mais surtout contre lui-même, pour se prouver qu'il est capable d'atteindre les sommets qui le mèneront à ses rêves d'artiste reconnu.

C'est dans ce large cadre que se déroule l'histoire de "8 Mile", dont le nom désigne une route marquant la démarcation fictive entre les parcelles riches et les zones pauvres de la ville américaine. Comme je l'ai présenté en introduction, on y suit ce rappeur, B-Rabbit de son nom de scène, qui tente de prendre son destin en main et briser une vie marquée par la monotonie d'un travail répétitif, une ambiance familiale compliquée et un faible respect de ses pairs.

 
 

Le savant équilibre entre inspiration et intérêt du récit


On le devine facilement en voyant l'affiche, l'interprète qui prête ses traits au personnage central de l'intrigue n'est autre que le très célèbre rappeur Eminem. La raison principale qui fait de lui la vedette du film, c'est que l'histoire racontée, à quelques détails près, c'est la sienne. Et on a là un constat.

Peu importe la personne, créer un film s'inspirant de sa propre existence est un exercice particulièrement délicat. D'abord, au moment de choisir ce qui est important (et doit donc être raconté) et ce qui ne l'est ou ne doit pas l'être pour un récit. Ensuite, il semble évident qu'une oeuvre qui ne fait que dénoncer un évènement ou une situation sans en apporter des solutions aura du mal à apporter de l'espoir aux spectateurs. Et cette possibilité de réussite est très importante chez le public : elle lui permet d'accompagner avec le personnage pendant le combat (cf. "Il y'a toujours de l'espoir"), et tirer de l'inspiration de l'histoire une fois le mal vaincu.


Ça tombe bien, à ces deux questionnements, l'artiste et le réalisateur ont visé juste. "8 Mile" a cette intelligence de nous emmener, avec son personnage-clef, à l'essentiel des choses : les scènes présentées sont excellentes, car déterminantes dans la progression du héros. Qu'est-ce qu'on y voit grosso modo ? Une humiliation, une remise en question, de grands changements, puis le dépassement de soi pour balayer les échecs et rebâtir sur une magnifique victoire contre soi-même et les autres. Avec, entres autres, de l'action, de l'amour, de l'amitié et de l'auto-dérision pour désamorcer toutes les armes de l'ennemi. En résumé, tout ce qu'il faut pour intéresser n'importe quel spectateur. Ah, on a autre chose aussi : le travail. Ce cocktail fonctionne vraiment bien pendant deux heures.


J'ai oublié en route les battles ? Oh que non : ce sont les instants de grâce du film, où l'on apprend aussi bien de la vie des challengers que de leur vision du rap. Une incroyable tension à chaque combat, sans parler de la scène finale, la battle ultime, dont la force de frappe écrase absolument tout sur son passage. La bande-annonce juste ici devrait d'ailleurs vous aider à vous rappeler de tout ça.

 
 

De la cohérence du choix des acteurs à une bande-son au sommet


Pour présenter un univers qui cogne autant, il est obligatoire que le casting soit à la hauteur. Bonne nouvelle, il est au rendez-vous : pour commencer, tous les membres du groupe 313 (hors B-Rabbit) ont des personnalités complètement différentes qui finissent par se compléter pour n'en révéler que le meilleur. On y trouve le meilleur ami, "Future", toujours présent dans les bons comme les mauvais moments (mention spéciale à sa prestation, impeccable), un pote un peu limité mais gentil et attachant, une sorte de "Gandhi" version ghetto qui ne semble pas être à sa place dans ces rues, un ami traître et un copain fou-fou qui a oublié la finesse chez sa mère. Une équipe de choc, donc. On prend.


Mais évidemment, on ne se trompe pas en rentrant dans le vif du sujet avec la performance d'Eminem. Personnellement, je l'ai trouvé saisissante : l'acteur nous transmet parfaitement à l'écran la souffrance qu'il a dû endurer auparavant dans sa vraie vie, et c'est une prouesse. Voir le chanteur aussi convaincant m'a étonné, et m'a confirmé qu'il est un homme prêt à tout pour exercer son art aussi bien sur les scènes de show que celles de cinéma. Les scènes du film, parlons-en aussi, sont vraiment très bien filmées. Je me suis mis à avoir de l'empathie pour le protagoniste, à me sentir mal à l'aise pour sa situation tant celle-ci est proprement racontée. Et ça fait plaisir de pouvoir vivre ce genre d'émotions profondément humaines.

On a également une Kim Basinger qui fait le boulot en mère de famille acculée par les dettes et le désespoir amoureux, et une Brittany Murphy qui joue avec les nerfs du héros en lui faisant tourner la tête puis les poings. Le groupe rival "Leaders of the Free World" et sa tête d'affiche incarnent le mal et représentent l'étape-clef à franchir pour B-Rabbit s'il veut définitivement exorciser les démons qui le hantent. Ses membres, avec notamment la tête d'affiche Anthony Mackie, sont plutôt corrects, mais pas fabuleux non plus. Ils ont heureusement ce "talent" de devenir ce que l'on attend de "méchants" de tels quartiers américains, avec un dénouement évidemment inattendu lorsque notre rappeur chéri les calme une bonne fois pour toutes.


Et enfin, comment terminer cette critique sans évoquer un atout immense du film : sa bande-son. Parsemé de nombreux titres inédits créés pour l'occasion par Eminem lui-même, rarement une "Soundtrack" a semblé aussi raccord avec les moments durant lesquels elle se dévoile au public. Synchronisation parfaite avec les évènements, ambiance changeante au fil des minutes qui passent, mais toujours une envie au fond de chaque mélodie. Cette envie de montrer qu'un lion est prêt à rugir du corps de Jimmy Smith Jr. (le nom réel du héros), qui sera immaîtrisable une fois la confiance et l'audace apparues. Et puis, il y a Lose Yourself. Une merveille que le XXIè siècle nous a apporté grâce à ce même artiste, qui entre deux scènes de tournage, partait écrire ce qui allait devenir une musique culte. Fabuleuse de bout en bout, et criante de vérité et de beauté.

 

Conclusion rythmée

Alors oui, ce n'est pas le film de la décennie, et encore moins un chef d'oeuvre. Mais "8 Mile" a quelque chose que beaucoup de créations n'ont pas : du coeur. En narrant sa propre histoire, Eminem et sa clique prennent les spectateurs aux tripes en dévoilant la partie de sa vie qui a précédé son ascension. Avec un ami, je parlais justement de l'intérêt fort qu'aurait eu le réalisateur et le rappeur à réaliser une trilogie sur cette vie hors-normes : "8 Mile" comme film initial, un deuxième long-métrage consacré au succès et à la pression qu'il engendre (et ses travers), et enfin une ultime création dévoilant la rédemption, et la vie avec ce statut d'icône assumé.


Mais finalement, je pense que le film proposé suffira pour aider le monde à comprendre les origines et les motivations qui ont poussé Marshall Bruce Mathers III à devenir Eminem. J'ai énormément apprécié "8 Mile", à la hauteur de mes attentes. Et c'est un pur bonheur. On se quitte avec le monument dont j'ai parlé plus haut, ça devrait vous donner de l'inspiration au moins jusqu'à la fin de la journée.

Merci à tous pour le temps accordé à cette critique cinéma, et place au débat dans l'Espace Commentaires !

 


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